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Développer des systèmes de santé résiliants pour une couverture de santé universelle : Entretien avec le Dr. Githinji Gitahi

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Dans cet article, le Dr Githinji Gitahi, directeur d’Amref Health Africa, discute avec Gary Humphreys de la nécessité de collaboration multisectorielle et d’évaluation des systèmes de santé pour atteindre la couverture sanitaire universelle (CSU). Il partage comment son expérience variée et les données influencent les politiques de santé d’Amref, tout en abordant les défis liés au sous-financement et aux ressources limitées. Découvrez comment Amref œuvre pour améliorer l’accès aux soins et surmonter les obstacles à la CSU.

Fils d’agriculteurs, vous avez grandi dans un petit village rural du Kenya. Comment cette éducation a-t-elle influencé votre vision du monde et vos choix de carrière ? 

Githinji Gitahi : Cela m’a fait prendre conscience des difficultés rencontrées par certaines communautés pour accéder à des soins de santé de qualité. Je dirais que le désir d’améliorer la vie des gens, en particulier de ceux qui sont marginalisés ou exclus, m’a guidé dans la plupart des projets sur lesquels j’ai travaillé — notamment le travail que je fais avec Amref 

Quelle est la mission principale d’Amref ? 

Githinji Gitahi : Catalyser et stimuler le développement de systèmes de soins de santé primaires dirigés par la communauté et centrés sur les personnes, tout en s’attaquant aux déterminants sociaux de la santé. Nous sommes la plus grande organisation internationale de développement sanitaire basée en Afrique. Nous fournissons des services de santé et des formations à plus de 30 millions de personnes sur le continent chaque année.

Depuis 1957 et l’apparition des premiers médecins volants en Afrique de l’Est, la lutte contre les problèmes d’accès aux soins de santé primaires se reflète dans l’ensemble de notre travail. 

Vous avez occupé des postes à responsabilité au sein d’entreprises et d’organisations dans des secteurs très différents. Comment cette expérience a-t-elle influencé le travail que vous effectuez avec Amref, en particulier en ce qui concerne la couverture de santé universelle ?  

Githinji Gitahi : J’ai commencé par être clinicien, mais je me suis très vite intéressé aux causes des maladies et des problèmes de santé de mes patients. Cela m’a amené à sortir des murs de la clinique pour explorer ce que l’on appelle aujourd’hui les déterminants sociaux de la santé. Je me rendais dans les communautés et sur les lieux de travail des gens pour essayer de comprendre les risques auxquels ils étaient confrontés.

Au début de ma carrière, je me suis également beaucoup intéressé à la manière dont nous, en tant qu’hôpital, répondions aux besoins des communautés que nous desservions. Cela m’a orienté vers des fonctions de gestion, et finalement vers l’administration hospitalière. J’ai également travaillé dans la branche assurance maladie d’un prestataire de services de santé, ce qui m’a permis de mieux comprendre les aspects financiers de la prestation de services de santé et de réfléchir à la manière de garantir que les services de santé essentiels soient abordables pour les personnes qui recevant des salaires bas.  

Vous avez ensuite travaillé chez Glaxo SmithKline (GSK) dans des fonctions de marketing et de gestion des produits. Quelles leçons avez-vous tirées de cette expérience ? 

Githinji Gitahi : J’ai surtout appris à connaître les médicaments essentiels du côté du fabricant et j’ai développé une compréhension du marché biopharmaceutique. Durant mon mandat, j’ai également travaillé sur l’accès aux médicaments. C’est à ce moment même que l’entreprise a développé une politique de prix à haut volume et à faible marge. Entre 2001 et 2007, des réductions de prix allant jusqu’à 70 % ont été appliquées à certains produits. Ces réductions comprenaient des médicaments essentiels tels que les antibiotiques. 

Cependant, j’aimerais souligner la valeur de l’expérience multisectorielle dans le développement d’approches collaboratives pour relever les défis de la santé publique. Une grande partie du travail chez Amref consiste à réunir des personnes de disciplines et missions diverses. Mon expérience dans différents secteurs m’aide à repérer les opportunités de collaboration et à y parvenir.

Les leçons apprises chez GSK et Smile Train

Chez GSK, par exemple, j’ai travaillé sur le rapprochement de la recherche et de la pratique clinique afin d’améliorer les résultats pour les patients et j’ai assuré la liaison entre les scientifiques, les régulateurs et les consommateurs. À Smile Train, je me suis concentré sur le développement de partenariats et de programmes visant à fournir une chirurgie corrective aux enfants souffrant de fentes labiales et palatines. L’un des principaux défis auxquels Smile Train était confronté était la dépendance excessive à l’égard des missions médicales à court terme menées par des donateurs. Pour y remédier, nous avons établis des partenariats avec des hôpitaux et des établissements médicaux locaux afin de faciliter la formation de chirurgiens locaux et de renforcer les capacités locales dans des pays tels que la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et l’Ouganda. 

Le manque de moyens de transport constituait un autre défi de taille. Les enquêtes annuelles que nous avons menées ont révélé que certains patients devaient parcourir jusqu’à 1 000 kilomètres et qu’ils devaient souvent passer la nuit chez l’habitant. Cette constatation m’a vraiment fait comprendre que les problèmes d’accès existent en dehors des établissements de santé physiques. Par conséquent, nos évaluations du système de santé ont commencé à être plus holistiques, intégrant des indicateurs tels que la disponibilité des moyens de transport et même des autorisations sociétales, comme le fait que les maris autorisent leurs femmes à emmener leurs enfants pour les faire soigner. 

Vous avez parlé de l’évaluation des systèmes de santé. Quel rôle joue-t-elle dans votre travail à Amref ? 

Githinji Gitahi : L’évaluation du système de santé est évidemment essentielle. Sans elle, on risque de tomber dans le type de raisonnement en silo qui a entravé le développement des systèmes de santé dans le passé. Cela est souvent attribué aux approches adoptées par les programmes verticaux, mais je dirais que les positions politiques élaborées dans le cadre des OMD (Objectifs du Millénaire pour le développement) ont également joué un rôle. Les OMD se concentraient sur huit objectifs seulement, dont trois spécifiques en matière de santé : la réduction de la mortalité infantile, l’amélioration de la santé maternelle et la lutte contre le VIH, le paludisme et d’autres maladies.  

L’évolution de la stratégie d’Amref Health Africa

Lorsque j’ai rejoint Amref en 2015, l’organisation avait une stratégie très verticale alignée sur ces objectifs. Avec le passage des OMD aux ODD (Objectifs de Développement Durable), il est devenu vital de considérer la situation dans son ensemble et les liens entre des éléments auparavant considérés comme distincts, tels que la nutrition et le changement climatique, pour ne prendre qu’un exemple. Constatant la nécessité d’un changement de mentalité, j’ai suivi un cours sur les perspectives stratégiques pour la gestion des organisations à but non lucratif à Harvard, qui m’a aidé à développer une approche plus holistique et intégrée, s’alignant sur l’agenda de la santé publique universelle. 

J’ai également lu Health, Wealth, and the Origins of Inequality d’Angus Deaton, un livre qui a profondément influencé ma compréhension de la santé publique et de l’équité. Ses idées sur l’importance des données et des déterminants de la santé pour élaborer des politiques plus efficaces ont été cruciales pour la nouvelle stratégie quinquennale d’Amref. Cette stratégie se concentre sur le renforcement des systèmes de santé communautaires, l’amélioration des soins de santé primaires, et priorise l’amélioration des conditions de vie des femmes et des jeunes ainsi que des facteurs sociaux et structurels impactant la santé.

Comment Amref aborde-t-elle l’évaluation des systèmes de santé ? 

Githinji Gitahi : Nous avons développé notre propre approche, en nous appuyant sur différentes méthodes et ressources, notamment l’indice d’accès et de couverture des services (SAC) de l’Organisation mondiale de la santé, qui vise à fournir une mesure claire et quantifiable de l’efficacité de la fourniture des services de santé et de l’accès à ces services par les populations. Toutefois, il est crucial de souligner que l’on ne peut évaluer que ce que l’on peut voir, c’est-à-dire ce pour quoi on dispose de données. Au Kenya, les données collectées par les agents de santé communautaires et affichées sur les tableaux dans les établissements de santé ont été très utiles pour mettre en évidence les lacunes en vaccination, soins prénatals et accessibilité financière. Les données du ministère de la Santé ont également été précieuses, montrant qu’en 2017, seulement une personne sur cinq avait une assurance maladie.

Dans quelle mesure les pays avec lesquels Amref travaille utilisent-ils l’évaluation des systèmes de santé ? 

Githinji Gitahi : Des données d’évaluation et des preuves significatives sont disponibles pays par pays – telles que les données de la République-Unie de Tanzanie sur l’autonomie financière des établissements, qui ont révélé que les établissements dépourvus d’autonomie financière peinent à fournir des soins de qualité, ou les données collectées par le Rwanda dans le cadre de son initiative Imihigo. Toutefois, des difficultés subsistent en ce qui concerne l’évaluation globale du système de santé dans la plupart des pays. 

La pandémie de COVID-19 a-t-elle révélé la nécessité d’évaluer les lacunes en capacités et les insuffisances des services ?

Githinji Gitahi : La COVID-19 a révélé les faiblesses des systèmes de santé, en particulier en matière de distribution des vaccins et d’approvisionnement en oxygène.Bien qu’il y ait eu une réaction initiale avec des efforts pour recueillir des informations, la situation est vite revenue à la “normale”, c’est-à-dire à des systèmes sous-financés qui ne répondent pas aux besoins des populations, notamment celles du secteur informel.

Que faut-il changer pour résoudre ces problèmes ? 

Githinji Gitahi :  Il y a plusieurs enjeux, mais l’un des principaux est le problème persistant du sous-financement. En tant que coprésident du comité directeur de l’initiative UHC 2030, j’ai constaté la pression mondiale exercée sur les pays pour qu’ils progressent vers la couverture sanitaire universelle (UHC), une pression qui n’a jamais été aussi forte. Cependant, malgré certains progrès, l’avancée vers la santé universelle est freinée par le manque de ressources.

En Afrique, les dépenses de santé par habitant sont d’environ 50 dollars, voire moins dans de nombreux pays. Ce montant contraste fortement avec les milliers de dollars par habitant dépensés dans les pays à revenu élevé. Il est donc crucial de mobiliser davantage de ressources, mais aussi de maximiser l’impact des ressources disponibles. Cela pourrait commencer par offrir une gamme limitée de services aux populations les plus vulnérables, puis s’élargir au fur et à mesure que des ressources supplémentaires sont disponibles.  

Ce que Amref Health Africa met en place

Chez Amref, nous aidons les gouvernements à optimiser l’utilisation de leurs ressources limitées en adoptant une approche stratégique pour l’achat de services de santé. L’objectif est d’obtenir un meilleur rapport santé-coût, même sans disposer de fonds supplémentaires pour la santé. Le Rwanda a été proactif en identifiant les plus pauvres et en les subventionnant, en intégrant les fonds du Fonds mondial dans leurs plans d’assurance maladie, et en maintenant une stratégie unifiée de financement de la santé. En Éthiopie, malgré les défis de l’assurance communautaire, l’accent a été mis sur la réduction de la gravité des maladies grâce à des agents de santé communautaires et des postes de santé. Des initiatives similaires sont menées au Malawi et au Kenya, avec des subventions pour soutenir l’assurance maladie.

Quel est votre optimisme quant à la réalisation des objectifs de l’initiative UHC 2030 dans les pays où Amref opère ?

Selon le récent rapport de l’OMS sur les résultats pour 2023, le monde ne progresse pas suffisamment pour atteindre l’objectif d’assurer la couverture sanitaire universelle à un milliard de personnes supplémentaires d’ici 2025, ni pour réaliser les objectifs de développement durable d’ici 2030. Les pays avec lesquels Amref travaille risquent de suivre cette même tendance. Pour faire avancer la cause de l’accès universel à la santé, il faut des dirigeants, mais aussi des structures de gouvernance qui transcendent les cycles électoraux.La mise en œuvre de politiques de santé universelle nécessite des décennies, tandis que les cycles électoraux de quatre à cinq ans perturbent leur soutien à long terme. L’Amref continuera à soutenir ses membres dans la certitude d’obtenir des avancées dans certains domaines, mais à moins que cette planification à court terme ne change, ils continueront à lutter. 

Traduit de l’article original paru le 1er juillet, découvrez-le en anglais ici.

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