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« Renforcer la santé » : Entretien avec Misrak Makonnen, directrice régionale d’Amref Health Africa en Éthiopie

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Le 8 juillet dernier, la Directrice régionale du bureau Amref Health African en Ethiopie, Madame Misrak Makonnen, a été interviewée par le journal en ligne Capital. Dans cet entretien, elle aborde les défis et réussites de son mandat, sa vision de l’avenir du développement de la santé en Afrique, ainsi que les contributions d’Amref dans le secteur de la santé en Éthiopie. 

Capital : On sait que le secteur de la santé nécessite des investissements et un soutien financier importants. Quelle est la principale contribution d’Amref à cet égard ? 

Misrak Makonnen : Je suis d’accord avec vous sur l’importance de l’investissement financier mais nous commençons par mettre l’accent sur la cocréation de solutions avec les communautés que nous servons et non pour elles. L’investissement le plus important que nous réalisons consiste à engager des partenaires locaux qui partagent notre sens des responsabilités, en particulier en matière de gouvernance et de leadership. C’est là que devraient se situer les principaux investissements, compte tenu de l’objectif que nous poursuivons. 

Parce que nous accordons de l’importance à un partenariat authentique, Amref s’efforce également d’établir des relations solides avec des donateurs qui comprennent la complexité des problèmes et l’expertise d’Amref en matière d’excellence. Cette confiance est cruciale. Elle nous a permis d’être agiles et innovants face à des perturbateurs tels que la Covid-19. Une fois que les donateurs et les partenaires ont pris conscience de notre efficience, nous avons pu lever des fonds pour répondre à nos priorités.  

Capital : Vous êtes une organisation à but non lucratif. De qui recevez-vous un soutien financier pour mettre en œuvre vos programmes ?  Pourrez-vous rester une organisation à but non lucratif si vos sources de financement se tarissent ? 

Misrak Makonnen : Nous disposons d’un pool diversifié de donateurs : des institutions comme l’USAID aux fondations comme la Bill & Melinda Gates Foundation. Nous nous efforçons d’aligner les priorités du gouvernement, des donateurs et de notre propre stratégie en travaillant avec les ministères de la santé, des affaires sociales, des femmes, du travail et des compétences, de l’éducation et d’autres, ainsi qu’avec leurs homologues régionaux. 

Je pense beaucoup à la durabilité. C’est pourquoi nous avons mis en place des moyens parallèles de mobilisation des ressources par l’intermédiaire de nos bureaux européen et nord-américain – collecte de fonds pour les ressources non affectées et entreprises sociales dirigées par le siège qui compenseront nos coûts. Amref a lancé des initiatives majeures telles que les médecins volants (Amref Flying Doctors) et l’université internationale d’Amref (AMIU), qui sont basées à notre siège de Nairobi. Nos programmes pour la jeunesse comprennent le soutien à des start-ups pour lesquelles nous sommes investisseurs et partenaires du secteur privé afin de créer des synergies. Nous voulons créer autant de retombées que possible à partir de nos programmes et servir d’incubateurs pour les entreprises sociales. C’est là que nous voulons changer toutes les mentalités, à commencer par la nôtre. 

Capital : Que pense l’Amref de l’agenda de la localisation* ?   

Misrak Makonnen : La localisation a été un mot à la mode bien intentionné dans le monde du développement. Je suis particulièrement fière qu’Amref soit à l’avant-garde de cet agenda en tant qu’organisation née et dirigée en Afrique.  La localisation est essentielle pour favoriser l’appropriation et conduire des solutions conçues localement en co-créant avec nos communautés tout en renforçant les capacités de nos organisations de la société civile (OSC). Nous ne nous contentons pas d’être un partenaire régional africain fort, mais nous créons également un réseau de partenaires locaux forts – c’est ce qui va conduire au changement. Nous sommes conscients du défi que représente le renforcement des capacités programmatiques et opérationnelles de nos réseaux, et cela n’est pas négociable. Heureusement, le fait d’avoir anticipé les interventions de développement des capacités et les systèmes de gestion des partenariats avec les OSC nous a permis d’être à l’avant-garde dans ce domaine. Nous sommes aujourd’hui essentiellement « prêts à l’emploi ».  Les nouveaux partenaires viennent en sachant qu’ils ont affaire à une organisation fiable, dont le travail est étayé par des données concrètes et qui s’est engagée à renforcer le rôle des partenaires locaux. 

Notre dernière action consiste à impliquer le secteur privé local et en plein essor, afin de s’assurer que tous ceux qui ont un intérêt dans le bien-être de l’Éthiopie disposent d’un espace dans notre réseau Amref. Notre vision à long terme comprend un dispositif par lequel les diasporas éthiopiennes peuvent commencer à voir l’Afrique comme une opportunité de s’engager et de s’impliquer, et pas seulement comme un cas de charité. 

* Localisation : Dans le secteur de l’humanitaire, la localisation consiste à donner dans les pays touchés les moyens de diriger et d’acheminer l’aide humanitaires aux intervenants locaux. Elle vise à renforcer les capacités et les ressources des organisations locales pour répondre aux crises et promouvoir la durabilité à long terme. 

Capital : Comment évaluez-vous le succès d’Amref Health Africa in Ethiopia depuis qu’elle est devenue opérationnel en Éthiopie en 2002 ? 

Misrak Makonnen : Il est difficile de croire qu’il y a un peu plus de 20 ans, Amref en Éthiopie a été créée comme un petit avant-poste pour lutter contre le VIH/sida. Au fil des ans, nous sommes devenus l’un des partenaires les plus fiables du gouvernement éthiopien, des donateurs internationaux, des organisations de développement et des OSC. Notre mission principale est de mettre en place des systèmes de santé durables pour les communautés que nous servons, en accordant une attention particulière aux femmes et aux jeunes. Aujourd’hui, nous avons des programmes dans les 12 régions et dans deux villes administratives. Nous sommes profondément enracinés dans les communautés que nous servons – nous travaillons en étroite collaboration dans 600 districts, nous soutenons plus de 500 établissements de santé et environ 70 instituts d’enseignement supérieur.  Nous avons donné la priorité aux groupes marginalisés de notre population, y compris les communautés des régions en développement. J’ai à coeur de considérer Amref comme un « ambassadeur de l’équité ».  

Ainsi, depuis ce bureau d’une seule pièce en 2002, nous sommes aujourd’hui une équipe de 350 membres qui travaillent afin d’apporter un changement durable dans le domaine de la santé en Éthiopie. Nous contribuons à ouvrir la voie à un changement positif irréversible en Éthiopie. 

Capital : Quels sont les principaux domaines d’intervention de vos programmes et les régions où ils sont mis en œuvre à l’heure actuelle ? 

Misrak Makonnen : Nous pensons qu’un système de santé solide est le soleil autour duquel gravitent tous nos programmes. Une société en bonne santé est synonyme de prospérité économique, d’autonomie dans la vie, de liberté d’innover et de faire partie d’une communauté prospère. C’est pourquoi nous alignons nos domaines d’intervention sur les priorités du pays et mesurons notre succès à l’aide de données solidement étayées. 

Amref investit dans des systèmes de santé centrés sur les personnes et dirigés par les communautés. Nous fournissons des services tels que la formation d’agents de santé de première ligne, l’assistance technique immédiate et à long terme aux établissements de santé, ainsi qu’un travail de plaidoyer pour lutter contre les comportements sociaux qui ont un impact négatif sur les communautés, tels que les mariages précoces, les mutilations génitales féminines et les violences fondées sur le genre. Dans ce cadre, les domaines d’intervention de nos programmes sont les suivants :  renforcement des systèmes de santé, santé et nutrition reproductive, maternelle, néonatale, infantile, des adolescents et des jeunes, développement intégré des jeunes, eau, assainissement et hygiène, prévention et contrôle des maladies. 

Nous croyons fermement à l’intégration de notre travail, de sorte qu’aucun des programmes mentionnés ci-dessus ne soit cloisonné. Par exemple, notre programme sur l’eau, l’assainissement et l’hygiène (WASH) consiste à aider les jeunes femmes collectrices de déchets solides à s’organiser afin qu’elles puissent obtenir un emploi intéressant et gagner leur vie dans la dignité. À leur tour, elles deviennent des défenseurs d’un environnement plus propre. 

Notre programme transformateur intégré pour la jeunesse, Kefeta, un partenariat qui change la donne avec l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), investit dans le pouvoir des jeunes à promouvoir leur propre développement économique, civique et social. Les jeunes de Kefeta promeuvent le développement au sein de leurs communautés et contribuent à la paix et à la prospérité du pays. L’Amref joue ici en tant que tissu conjonctif qui alimente tous les organes principaux afin que le corps fonctionne bien. 

Photo : Udima Awol, dans la région d’Afar en Éthiopie. Crédits : Genaye Eshetu

Capital : Combien de personnes avez-vous pu atteindre avec vos programmes jusqu’à présent ? Et dans quelles régions du pays les personnes les plus vulnérables peuvent-elles être soutenues par vos programmes ? 

Misrak : À ce jour, nous avons aidé plus de 26 millions de personnes, dont 56 % sont des femmes. Notre travail dans les régions en développement est emblématique de la manière dont nous opérons – avec intentionnalité, expertise et planification minutieuse pour des solutions à long terme. 

Par exemple, la région d’Afar abrite des pasteurs qui vivent sur certains des terrains les plus reculés et les plus inhospitaliers d’Éthiopie. L’accès aux soins de santé est donc un défi de taille, en particulier pour les femmes qui sont traditionnellement les dernières à chercher à se faire soigner, elles et leurs enfants. 

Imaginez la difficulté pour une femme enceinte de parcourir des centaines de kilomètres à pied pour obtenir ne serait-ce que le service de santé le plus élémentaire dans un poste de santé peu fréquenté. Nous avons contribué à la conception d’un programme axé sur la formation de sage-femmes au niveau local capables de fournir un large éventail de services de santé et de les déployer dans ces zones reculées. Désormais, au lieu que les femmes vulnérables se rendent dans des endroits éloignés, Amref facilite un accès régulier et plus proche à des soins de santé de qualité grâce à des services de proximité. 

Nous ne nous sommes pas arrêtés là. À mesure que les prestataires de soins de santé gagnent la confiance des communautés, ils élargissent l’éventail des services qu’ils sont en mesure de fournir. Par exemple, la formation des agents de santé de première ligne comprend la fourniture d’échographes portables à énergie solaire, qui n’étaient auparavant disponibles que dans les centres de santé urbains et inaccessibles aux femmes des villages isolés. Aujourd’hui, un nombre croissant de femmes afars ont accès à des soins prénatals de prévention essentiels. La détection précoce des anomalies de la grossesse a permis de réduire considérablement la mortalité infantile. Mais il faut ajouter à tout cela une jeune sage-femme afar qui possède désormais des compétences professionnelles qui lui permettent d’améliorer ses moyens de subsistance et son statut au sein de la communauté. 

Capital :  À l’aube de la troisième décennie, quelles sont vos aspirations pour les années à venir ? 

Misrak : Je crois beaucoup à la question « Qu’est-ce que le 2.0 ? ». C’est ce qui nous pousse à redéfinir et à réimaginer le secteur du développement. Nous sommes en bonne voie pour devenir le principal défenseur non étatique du programme de développement de la santé en Afrique. Au fur et à mesure de notre croissance, nous voulons positionner Amref de manière à ce qu’elle soit un organisateur principal de l’agenda de la santé pour l’Éthiopie et plus encore.  Nous voulons qu’Amref soit une marque connue dans chacune de nos communautés en tant que catalyseur du changement dans le domaine de la santé, avec un impact prouvé. 

À bien des égards, notre bataille est celle du temps : une population jeune, privée de ses droits, et en pleine expansion, est soit une bombe à retardement, soit un potentiel inexploité. Si nous parvenons à résoudre ce problème, nous briserons un cycle de pauvreté qui semblait jusqu’alors insoluble. L’héritage d’Amref sera de laisser une génération d’Africains guéris, investis et pleins d’espoir. C’est un défi que nous avons décidé de relever.

 

À propos de Misrak Makonnen 

Misrak Makonnen est une professionnelle chevronné de la santé publique avec plus de 20 ans d’expérience dans le domaine de la santé publique internationale et du développement. Depuis 2016, elle occupe le poste de directrice nationale d’Amref Health Africa en Éthiopie, où elle dirige un portefeuille de programmes diversifié englobant : la santé reproductive, maternelle, néonatale et infantile ; l’eau, l’assainissement et l’hygiène ; et les maladies tropicales négligées, avec un budget annuel de plus de 15 millions de dollars.

Au cours de sa longue carrière, Misrak Makonnen a supervisé un projet de 30 millions de dollars financé par l’USAID sur la santé maternelle et infantile et la prévention de la transmission mère-enfant du VIH  en tant que directeur de pays/chef de projet d’IntraHealth en Éthiopie. Elle a également occupé des rôles clés dans le programme de lutte contre le sida financé par le PEPFAR au Rwanda, en Tanzanie et en Ouganda, et a été Directrice des programmes du Centre international de formation et d’éducation sur le VIH (ITECH) de l’Université de Washington en Éthiopie.

À propos d’Amref Health Africa en Éthiopie  

Depuis qu’elle est devenue pleinement opérationnelle en Éthiopie en 2002, Amref Health Africa s’est associée au gouvernement éthiopien et aux communautés locales pour co-créer des solutions et mettre en œuvre divers programmes de santé. Amref Health Africa, la plus grande organisation internationale de développement de la santé basée en Afrique et dirigée par l’Afrique, dessert plus de 30 millions de personnes chaque année dans 35 pays d’Afrique subsaharienne. Animée par sa vision d’apporter un changement durable en matière de santé en Afrique, Amref engage les communautés, les gouvernements et les partenaires locaux à s’attaquer aux déterminants sociaux de la santé.

 

Traduit de l’article original, paru le 8 juillet 2024 sur capitalethiopia.com. Retrouvez le en version anglaise ici.